• L'indigné s'ignore .

    Les guerres, les conflits, les génocides, le sexisme, l’homophobie, voilà de quoi nourrir l’indignation de l’humanité. Mais l’indignation est-elle une solution dans le processus du changement?

    Pétitions, manifestations, oppositions sont des outils dont se servent les gens comme agents de transformation. En participant à l’une de ces méthodes nous pouvons avoir l’impression d’une implication juste et noble de notre action. Nous ne le ferions pas en ayant l’impression du contraire, cela va de soi. C’est concevoir ainsi que notre soutien, avec celui de milliers d’autres personnes, aura l’effet escompté pour réclamer que telle ou telle pratique cesse ou que telle ou telle demande soit acceptée.

    Dans ce type de situation, nous sommes confrontés à deux choix. Ou nous sommes pour, ou nous sommes contre. Parce que si la situation existe et qu’il y a une protestation contre, c’est forcément que quelqu’un est pour. C’est la base même de l’opposition. Aussi incompréhensible que cela puisse paraître, il y a des gens qui sont pour la guerre, le meurtre, le viol, la torture, etc. Leurs raisons sont aussi nombreuses que le nombre de personnes qui s’adonnent à ces manières de « vivre ».



    Lorsque nous essayons de comprendre pourquoi de tels comportements sont possibles nous glissons inexorablement dans le cul-de-sac de la morale religieuse, c’est-à-dire les notions du bien et du mal. N’importe où où nous tentons de planter le drapeau de l’éthique et de la morale, nous y installons en même temps une pensée impérialiste, dictatoriale. Imposer son idéologie par des arguments qui condamnent. De sorte que, attaquer ou défendre un point de vue, les deux camps auront toujours des arguments qui tenteront de démontrer l’incohérence du camp adverse. Une bataille de raisonnement interminable.

    « Oui mais torturer, tuer des animaux, des êtres humains,  c’est inadmissible! » J’en conviens. Et alors? Ce n’est pas l’inadmissibilité d’une chose pour les uns qui arrête ce qui semble admissible pour les autres. Ça c’est le faux débat. Les forces de l’ordre, police, services secrets, armée sont de parfaits exemples de contradictions. Leur éthique et leur morale leur permettent de tuer tout en empêchant les autres de tuer. Ils sont donc pour le meurtre et ils utilisent tous les arguments inimaginables pour le justifier.



    D’ailleurs, pourrait-il y avoir des guerres si personne ne s’engageait dans l’armée? Les guerres sont-elles la responsabilité de ceux qui les décident ou de ceux qui les font sur le terrain en combattant? Le guerrier, le policier est programmé, comme dans les sports d’équipe, à sacrifier sa vie pour une cause commune, plus grande que lui. Il est fabriqué à partir du concept d’altruisme, pour les siens, contre les autres, ces ennemis potentiels en devenir constant, virtuels, imaginaires, illusoires.

    Dès lors, comment sortir de cette impasse binaire du pour et du contre? Un troisième choix est envisageable. Malheureusement, il ne plaît pas à toutes et à tous. Par refus de sa simplicité? Par peur de la responsabilité qu’il engage? Par le sentiment de vide qu’il crée en ayant l’impression de ne plus être quelqu’un d’utile et de nécessaire aux autres? Car la personne indignée pour ce qu’elle revendique carbure à l’idée que l’investissement de sa personne sert aux changements d’une cause. Elle veut récolter les fruits de son temps investit.

    En se donnant corps et âme à cette cause, son attention se porte à l’extérieur d‘elle-même. Ce faisant, une perte de temps et d’énergie s’implante et cristallise un combat entre elle et les autres au lieu de le faire disparaître. Il prend de la vigueur et amplifie les maux. Plus que cela, le combat est déjà manifeste en soi et le théâtre où se joue le drame se manifeste en plein visage, à grande échelle, sur la planète.



    Ainsi, pour sortir de la dualité bien/mal, bon/méchant, pour/contre, nous n’avons qu’une chose à savoir: que nous sommes les créateurs de ce qui nous arrive. Malgré les dires de la psychologie, de la philosophie et même de l’analogie que la physique quantique en fait en parlant d’effet miroir, de projection de soi ou que l’observable ne peut avoir d’existence sans l’observateur, plusieurs continuent de croire aux concepts de victimes-bourreaux-sauveurs.

    Cela s’explique en partie par le fait que nous sommes choqués de ce que nous voyons dans le monde simplement parce que nous ignorons que ce sont nos propres guerres intérieures, conflits, abus que nous portons sans les considérer comme premiers déclencheurs de tout ce qui nous pertubent. Cependant qu’une nuance est nécessaire. En ce sens que la réaction que nous avons face à un événement, aussi cruel soit-il, nous indique le degré d’assimilation ou d’intégration de nos propres conflits. Le déni, le refoulement, l’indifférence restent des réactions montrant combien le travail à faire est encore impératif, urgent.



    Ce dont je parle appelle plus précisément à être vigilant face à son ressenti. Afin d’éviter de se perdre dans les méandres du mental, savoir que toute réaction de sauveur, de bourreau ou de victime fige la personne concernée dans une guerre sans fin. Personne ne peut sauver personne d’un conflit, d’une guerre pas plus qu’il n’y a d’innocents dans ces cas de figures et ce peu importe l’âge des personnes concernées. En traitant quelqu’un de victime ou en jouant les sauveurs, c’est à la fois renier le pouvoir créateur de l’autre et se nourrir de la détresse de celui-ci pour sa propre gloire. C’est vampiriser l’énergie d’autrui en instaurant une dictature du « moi j’ai le pouvoir du changement et pas eux, les pauvres.»

    Tant que nous ne serons pas en mesure de nous reconnaître nous-mêmes comme créateur et créature de notre propre vie, nous continuerons de détourner le regard vers l’extérieur en vociférant ne rien comprendre à cette humanité. Les problèmes seront toujours la faute des autres et pour les réglés, nous continuerons d’espérer qu’une quelconque autorité vienne à s’interposer, ce que d’ailleurs implorent et confirment les manifestants et protestants de tout acabit.



    Ce n’est pas d’être insensible à ce qui se passe que d’agir sur ces propres démons. L’impulsion d’une transformation ne part toujours que de l’intérieur. Une expérience, un événement est éternellement neutre dans son expression. L’être humain a cette capacité de les traduire, de les polariser selon ses propres croyances morales, éthiques. De cette manière il leur donne un qualificatif de bien/mal, bon/méchant, etc., parce qu’il ignore que chaque personne crée son rêve ou son cauchemar. Ni l’un ni l’autre ne sont réels.

    Seul le regard, le point de vue façonne la réalité que l’on souhaite avoir. Et si ce regard s’alimente de fausseté et d’ignorance, il les répètera comme sa vérité-réalité, en souffrira tout en continuant de blâmer les uns et les autres pour les catastrophes humanitaires. Personne n’est victime. Personne n’est coupable. Personne n’est sauveur. Sauf si nous acceptons que ce monde soit notre réalité.

    ÉDITIONS 180 DEGRÉS

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